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10 avril 2024 - Actualités

Projet de loi d’orientation agricole : décryptage d’un texte gouvernemental ambitieux mais lacunaire

Le mercredi 3 avril 2024, le Gouvernement a présenté en conseil des ministres son projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Projet de loi visant la mise en œuvre d’actions pour la transition agroécologique tout en renouvelant les générations d’agriculteurs, celui-ci comporte toutefois plusieurs lacunes, à commencer par une étude d’impact exhaustive et un volet détaillé consacré à certaines problématiques environnementales intrinsèquement liées à l’agriculture. Si AMORCE salue l’ambition de ce texte, elle regrette que celui-ci n’aborde pas davantage certaines problématiques liées à l’énergie, à la gestion qualitative de l’eau ou encore au retour au sol des biodéchets.

Un texte visant à réconcilier agriculture et transition écologique 
 

L’exposé des motifs de ce projet de loi rappelle le rôle essentiel de l’agriculture pour la souveraineté alimentaire de la France et la transition écologique, ainsi que son caractère d’intérêt général majeur. Qualifiée par Emmanuel Macron de « mère des batailles », la définition d’un cadre pour l’établissement de cette souveraineté passe par la mise en place de différentes mesures qui sont détaillées dans les 19 articles du texte. 
 

Celui-ci est divisé en quatre titres : 

  • Le titre premier, composé d’un unique article programmatique, consiste en l’affirmation que la souveraineté alimentaire française doit devenir un « objectif structurant des politiques publiques », tant l’enjeu est fondamental.

 

  • Le titre II est quant à lui consacré au renouvellement des générations d’agriculteurs par le renforcement de l’attractivité des professions agricoles mais aussi par le biais de la formation des futures générations d’agriculteurs à l’agroécologie et aux questions climatiques. 

    L’objectif est de sensibiliser et d’accompagner le monde agricole vers une meilleure prise en compte des nouveaux enjeux liés à l’environnement. 

    Il met également l’accent sur la nécessité de développer la recherche et l’innovation pour la transition agroécologique et l’adaptation au changement climatique. A cette fin, l’État mettra en place des plans prioritaires pluriannuels de transition et de souveraineté.

 

  • Le titre III s’intitule « Favoriser l’installation des agriculteurs ainsi que la transmissions des exploitations et améliorer les conditions d’exercice de la profession d’agriculteur ». Il met en place diverses mesures, dont la mise en place au niveau de chaque département d’un guichet unique d’accueil, d’orientation et d’accompagnement pour faciliter l’installation des agriculteurs. Ce dispositif, appelé « France services agriculture », contiendra notamment un module de stress test qui permettra d’évaluer la résilience au changement climatique des installations agricoles tout au long de leur vie, ainsi que leurs avancées dans le sens des transitions agroécologique et climatique.

 

  • Le dernier titre vise la sécurisation et la simplification des activités agricoles. Il prévoit notamment de simplifier les règles applicables à la gestion des haies, indispensables à la biodiversité, mais aussi d’adapter par ordonnance les sanctions applicables en cas d’atteinte à l’environnement. 

    Il envisage aussi d’introduire des facultés d’intervention en matière de gestion quantitative de l’eau qui dépasseraient le cadre intercommunal, sans toutefois retirer cette compétence du bloc communal. 

    Il accorde à un EPCI à fiscalité propre ou à un syndicat mixte la possibilité de déléguer à l’échelon départemental la maîtrise d’ouvrage pour la production, le transport et le stockage d’eau destinée à l’approvisionnement de la ressource ou à la consommation humaine. 

    Enfin, il permet la création de syndicats mixtes ouverts ou fermés pour la prise en charge des compétentes relatives à la production, au transport, et au stockage de l’eau potable.

 

En outre, ce texte permet l’accélération des prises de décisions juridiques pour les contentieux relatifs aux retenues d’eau et aux installations d’élevage afin de ne pas bloquer les projets en cas de recours en justice. Mais ce dernier point pose problème, tant à certains parlementaires de l’opposition qu’au Conseil d’État.

 

Un projet de loi source de dissensions entre le Gouvernement et certains parlementaires
 

Moins d’une semaine après sa présentation par le Gouvernement en conseil des ministres, le retrait du texte de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale a été annoncé au motif d'une étude d’impact insuffisante. Celui-ci ne sera pas réinscrit à l’ordre du jour avant son examen par le Conseil constitutionnel qui doit statuer sous huit jours. 
 

Cela est en adéquation avec ce qu’avait formulé le Conseil d’État dans son avis consultatif publié le 4 avril. Selon lui, « l’étude d’impact, qui a été complétée le 21 mars, répond, dans l’ensemble, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, sous réserve de sa partie relative aux dispositions tendant à accélérer la prise de décisions contentieuses, très insuffisamment motivée ». Il avait relevé par ailleurs que les mesures d’accélération des contentieux pour les bâtiments d’élevage et les retenues d’eau pouvaient s’avérer inconstitutionnelles. 

 

Plusieurs pans liés à la transition écologique manquent à l’appel 
 

Si Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et la Souveraineté alimentaire, a déclaré à l’occasion de la présentation du projet de loi que « nous avons besoin d’une nouvelle génération, engagée et formée aux défis du changement climatique et de la transition agricole » pour répondre à l’objectif de souveraineté alimentaire, ce texte est lacunaire sur certains pans de la transition écologique liés à l’agriculture qui sont soit passés sous silence, soit insuffisamment traités. 
 

Le ministre a d’ailleurs affirmé sa volonté de mettre en place « les conditions d’un exercice de l’activité agricole qui ne soit pas soumis à des injonctions contradictoires ou des contraintes normatives inutiles ». Or, il a récemment été fait marche arrière sur la question de la réduction de l’usage aux pesticides, avec l’instauration d’un nouvel indicateur pour le plan Ecophyto, en réponse à la colère exprimée par les agriculteurs il y a quelques semaines. 
 

Il y a donc potentiellement lieu de s’inquiéter sur un reniement de certaines normes environnementales déjà adoptées ou à venir, même si le Gouvernement se veut rassurant en affirmant que cette simplification s’effectuera « sans pour autant sacrifier à nos exigences de protection de la santé humaine, de protection de l’environnement, et de qualité des productions ». 

 

AMORCE reconnaît la nécessité d’œuvrer dans le sens d’un renouveau pour le monde agricole en lien avec la transition écologique, mais elle regrette qu’il n’y ait pas dans ce texte plus de dispositions relatives à la gestion qualitative de l’eau, ni de dispositions relatives aux questions énergétiques ou encore au retour au sol des biodéchets
 

Elle déplore également que la question de la qualité des sols ne soit pas abordée dans ce projet de loi. C’est pourquoi elle appelle de ses vœux la création d’un observatoire des sols afin que celle-ci soit contrôlée.
 

AMORCE, convaincue, comme le Gouvernement, que transition écologique et activités agricoles doivent aller de pair pour le développement d’une agriculture résiliente, reste attentive aux suites qui seront données à ce texte et prépare en parallèle la rédaction d’un livre blanc sur les collaborations possibles entre les collectivités et l’agriculture (voir notre appel à contribution toujours ouvert en nous faisant part de vos retours d'expériences et éventuelles propositions avant le 30 avril à : mberthelard@amorce.asso.fr) avec différentes propositions et pistes d’amélioration sur la base de vos retours d’expériences et réflexions.
 

AMORCE souhaite engager des échanges constructifs avec le Gouvernement sur le sujet. 

 

Contact : Margaux BERTHELARD