01 juin 2020 - Actualités
L’ARENH au grill de la consultation : Réforme profonde de la régulation française en vue
Le ministère de la Transition écologique et solidaire a ouvert au premier trimestre une consultation sur son site internet, destinée à recueillir l’avis des Français sur les premiers éléments de la réforme prévue de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, autrement appelé ARENH.
Actualité extraite de la Lettre aux Adhérents #66 de juin 2020
Pour rappel, l’ARENH permet aux fournisseurs alternatifs (donc autres qu’EDF) d’accéder, s’ils le souhaitent, à un total de 100 TWh de production électrique d’EDF, au coût de 42 €/MWh (capacité incluse). Ce volume représente environ un quart de la production annuelle nucléaire d’EDF. Le reste de la production d’EDF (hydroélectricité et nucléaire essentiellement) est soit directement vendu aux clients d’EDF, soit vendu sur les marchés (environ 60 TWh de solde positif de vente d’électricité en 2018).
Fin 2018, le plafond des 100 TWh a été atteint pour la première fois depuis sa mise en place en 2011, avec une demande totale de 133 TWh. Les fournisseurs alternatifs se sont finalement approvisionnés massivement sur les marchés de l’électricité, juste après l’annonce de l’écrêtement de leurs demandes par la CRE, en plein mois de décembre, période de pic de prix. En effet, la CRE a réparti les 100 TWh d’ARENH selon le portefeuille client de chaque fournisseur et les 33 TWh de d'excédents de demandes ont été répartis équitablement.
La conséquence majeure de l’atteinte de ce plafond a été de faire massivement augmenter les prix de l’électricité, autour de la référence de marché des tarifs réglementés de vente (ou TRV). En effet, les TRV, pratiqués par EDF et les entreprises locales de distribution, sont calculés depuis 2010 selon une formule d’empilement des coûts de marché, dit autrement, des coûts d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs. Les TRV ne sont donc aucunement liés aux coûts de fonctionnement réels d’EDF comme c’était le cas autrefois, et prennent en compte les difficultés d’approvisionnement des fournisseurs utilisant l’ARENH (très peu de fournisseurs s’abstiennent d’utiliser l’ARENH, à notre connaissance, seuls ILEK et ENERCOOP le font).
Le gouvernement a donc décidé de réformer l’ARENH dans le but de stabiliser les prix de l’électricité. L’actuel projet de réforme fait en réalité suite à une première tentative de réforme, à travers la Loi énergie climat de 2019. Cette première tentative a été abandonnée face à l’absence d’assentiment de la Commission Européenne. Elle prévoyait pour rappel, de permettre au gouvernement d’augmenter le plafond de l’ARENH à 150 TWh, ainsi que de permettre au gouvernement de modifier la valeur d’accès à cette électricité. Le gouvernement est donc reparti d’une feuille blanche et a lancé des négociations avec la Commission européenne, pour dessiner les contours d’une nouvelle régulation régissant l’accès à la production électronucléaire française, par les fournisseurs d’électricité.
Dans les grandes lignes, les objectifs visés par cette réforme sont de répondre aux critiques souvent faites au sujet de l’actuelle régulation de l’ARENH :
- Stabiliser les prix de l’électricité en France et s’affranchir des prix de l’électricité sur le marché européen, trop dépendants du coût des matières fossiles ;
- Permettre à EDF de maintenir l’équilibre financier de l’exploitation de son parc nucléaire ;
- Favoriser les investissements de la part des fournisseurs alternatifs dans leurs propres moyens de production ou dans la maîtrise de l’énergie ;
- Permettre à la concurrence de s’exercer.
Le constat généralement fait est que l’ARENH, couplé à la réforme du calcul des TRV précédemment présentée a effectivement permis de voir se créer une quantité importante de fournisseurs alternatifs. L’ARENH, en permettant aux fournisseurs alternatifs de ne pas se sourcer sur les marchés pour une grande part (l’ARENH représentait en 2019 environ 61% de l’énergie vendue par les fournisseurs alternatifs), a participé à lisser la hausse des prix de l’électricité pour les clients qui auraient autrement subi de plein fouet la montée des prix de marché européens. Pas suffisamment cependant, surtout en 2019 où les TRV ont augmenté de 5,9%, puis à nouveau de 1,23% !
Dans un contexte marqué par le mouvement des gilets jaunes, l’Etat a alors pris la décision d’agir pour stabiliser les prix. Cependant l’ARENH a aussi un coût important pour EDF, donc pour
l’État actionnaire et in fine pour le contribuable. C’est en effet une régulation assurantielle à sens unique, prix plafond, pas d’engagement dans le temps sur la contractualisation... Selon diverses estimations, le prix de 42€/MWh ne couvrirait pas le coût réel de production, si l’on inclut les investissements, le démantèlement ou encore le traitement des déchets (59€/MWh tout compris
d’après la Cour des comptes).
D’autres ressources, notamment issues des revenus de RTE, le réseau de transport d’électricité, permettent actuellement de compenser et de faire des provisions pour démantèlement. Enfin, aucun engagement
à investir dans des moyens en propre n’est venu permettre aux fournisseurs alternatifs de s’affranchir de l’ARENH. Seuls les fournisseurs les plus militants ont fait cet effort.
La réforme actuelle propose donc :
- De mettre l’ensemble des volumes de production nucléaire à disposition du marché européen, dont une part serait réservée à la nouvelle régulation ARENH en France, le reste en marché libre. La part sous régulation concernerait a priori des contrats d’achat à 24 mois, uniquement pour les volumes vendus sur le territoire français. La part vendue sur les marchés européens, d’un volume non précisé, aurait pour but de contribuer à la formation des prix de marché et globalement d’impacter le marché à la baisse lorsque les cours des matières fossiles flambe.
- D’instaurer un prix plafond et un prix plancher pour les volumes régulés vendus en France. Un bilan annuel des transaction régulées serait fait en fin d’année. Si la somme des transactions représente un prix moyen vendu au- delà du plafond, EDF devrait reverser les sommes perçues en excédent aux fournisseurs, pour écrêter les flambées de cours de l’énergie pour les clients finals. Dans le cas contraire, d’un bilan en dessous du plancher, les fournisseurs devraient globalement transférer de l’argent à EDF pour assurer le financement du parc de production. Entre les deux, le prix serait finalement libre d’évoluer. L’écart entre plancher et plafond est proposé à 6€/MWh. Cependant, la valeur du plancher n’est pas précisée.
- De séparer EDF production d’EDF fourniture. Ce dernier se sourcerait désormais comme tous ses concurrents sur les marchés et ne pourrait plus se contenter de faire appel à ses propres moyens de production qui seraient mis sur le marché.
Des doutes existent quant à la possibilité d’atteindre les objectifs fixés par de tels moyens. En effet :
- En mettant à disposition massivement nos moyens de production nucléaire à l’Europe sans contrepartie, la France devra par ailleurs acheter beaucoup plus de production thermique à flamme fossile. Dans ces conditions, quid de l’impact prix avec une exposition plus forte au marché, du bilan carbone de la France, mais aussi de l’incitation pour nos voisins européens à baisser leurs propres bilans carbone en accédant à notre production décarbonée sans avoir à en assumer les investissements massifs ? En effet, si l’on vend une part importante de notre production électronucléaire, il faudra acheter pour compenser de l’électricité issue de combustible fossile. Rien ne garantit qu’il y ait des économies à la clef. Si l’injection d’électricité nucléaire est de nature à faire baisser les cours, la question est : “de combien ?”
- Quelle garantie pour le financement à terme du parc nucléaire sans dettes pour le contribuable ?
- Quelle incitation au financement dans la maîtrise de l’énergie, le stockage ou la production chez les fournisseurs alternatifs ? Ceux-ci seront pourtant exposés de plus en plus au marché européen si, comme prévu dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, de nombreux réacteurs nucléaires sont démantelés ? Le risque important est ici d’acter en sous main un réinvestissement massif dans le nucléaire ou le thermique à flamme à terme.
- En séparant définitivement EDF fourniture d’EDF production, il n’y aurait plus de possibilité de lier coût de production et prix de fourniture. Tout dépendrait des marchés, de l’état de l’offre et de la demande, comme c’est en partie le cas aujourd’hui, mais de façon plus massive puisque les fournisseurs devraient faire appel de façon plus importante à des moyens de production thermiques à flamme européens (charbon, gaz, fioul...). C’est un risque important notamment pour les ménages en situation de précarité énergétique.
Finalement, on tente de compenser la formule des TRV qui expose artificiellement le consommateur aux prix de marchés, avec une nouvelle couche de régulation. Si elle peut faire baisser les prix pour les consommateur (jusqu’à quand ?), elle fera certainement augmenter l’ardoise pour le contribuable. Pour bien comprendre que l’exposition de la France est artificielle, il suffit de s’en référer aux rapports de la CRE. En effet, les fournisseurs alternatifs se sourcent sur les marchés à hauteur de 39% et ils représentent 38% des parts de marché de la fourniture en France. L’exposition globale actuelle au marché Européen de la France est donc d’environ 15% des volumes totaux et la balance de la France est en plus positive sur le marché de l’électricité (en volume comme en valeur). Le problème originel n’est donc pas traité mais seulement atténué, en mettant à disposition toujours plus d’électricité nucléaire aux fournisseurs alternatifs et maintenant à nos voisins européens.
Une alternative, que nous avons proposée dans notre contribution, pourrait être la suivante :
- Conserver la majorité des volumes nucléaires pour le marché français, en ne mettant sur le marché européen, que les volumes de court terme, non encore contractualisés au mois suivant.
- Créer un prix plancher, fixé par la CRE, par empilement des coûts de production réels du parc nucléaire, qui serait la somme perçue par EDF pour les volumes mis à disposition dans le cadre de la régulation.
- Créer un prix plafond : entre le plancher et le plafond, EDF reverserait directement aux consommateurs français les trop perçus vis-à-vis du plancher, assurant ainsi un lissage des hausses de prix pour les consommateurs. En dessous du plancher les fournisseurs verseraient une compensation à EDF.
- Au dessus du plafond, EDF verserait les trop perçus aux fournisseurs. Ceux-ci auraient une obligation d’investir les sommes concernées dans des actions de maîtrise de l’énergie, des moyens de production renouvelables en dehors du soutien de l’Etat, mais aussi des moyens de stockage. Des objectifs seraient fixés pour chaque solution, en fonction des sommes perçues, laissant libres les fournisseurs de choisir la solution de leur choix parmi l’éventail disponible.
- Les tarifs réglementés de vente seraient supprimés, sauf dans le cadre de la précarité énergétique. Ils TRV seraient calculés sur des coûts du fonctionnement du parc de production, plus tarifs de réseau et taxes, mais sans marge, afin d’être réellement protecteurs. Ils agiraient sur le marché comme un repère de prix réaliste,
en lien avec les coûts d’exploitations constatés.
Cette réforme est enfin, d’après les déclaration de la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, un préalable au projet Hercule de scission du groupe EDF, sur lequel des précisions doivent être données à l’été 2020. Nous suivrons donc ces projets de près, puisqu’ils concernent à la fois les autorités concédantes des réseaux de distribution d’électricité et l’ensemble des collectivités, qui se fournissent en électricité et dont les coûts dépendent largement de la régulation.
Contact : Baptiste VEZOLE