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31 mars 2020 - Actualités

Points de blocage pour l’investissement des collectivités dans les projets d’EnR

Les outils d’investissement des collectivités et des citoyens dans les projets d’EnR sont déterminants afin de permettre l’augmentation massive de la production d’énergie renouvelable dans les territoires. Cela étant, plusieurs dispositions soulèvent encore de la part des acteurs de nombreuses questions et posent de réelles difficultés pour l’émergence de projets.

Actualité extraite de la Lettre aux Adhérents #65 de mars 2020

 

Depuis la loi n°2015-992 du 17 août 2015 dite « Loi TECV », les collectivités territoriales ont la possibilité d’investir en capital dans des sociétés portant des projets d’énergie renouvelable sur leur territoire ou à proximité. Cette faculté a été reconnue à tous les niveaux de collectivités ainsi qu’aux EPCI. En parallèle, le financement participatif par les citoyens de ces mêmes projets a été grandement facilité. La loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, est venue préciser certaines dispositions issues de la loi TECV quant au financement des projets par les collectivités territoriales.
Ces outils sont déterminants afin de permettre l’augmentation massive de la production d’énergie renouvelable en France, l’acceptabilité des projets et des retombées économiques pour les territoires. Cela étant, plusieurs dispositions soulèvent encore de la part des acteurs de nombreuses questions et posent de réelles difficultés pour l’émergence de projets.
AMORCE a présenté en ce sens des points jugés bloquants ou limitants auprès de la Direction Générale des Collectivités Locales lors d’un rendez-vous le 16 janvier 2020. La DGCL doit revenir vers AMORCE avec une réponse complète sur ces sujets après consultation d’autres services.

 

Compétence des communes ou faculté partagée
Concernant les communes et leurs EPCI, les textes (L2224-32 et L2253-1 du CGCT) ne font référence à aucune répartition de compétences entre les deux types d’entités.
En effet, ils mentionnent les communes 
« ET » leurs EPCI. Cette formulation traduit la volonté du législateur de faire des communes et des EPCI des co-acteurs de la transition énergétique. Cette interprétation répond de toute évidence à la réalité de terrain de ces projets, qui nécessitent que l’ensemble des acteurs du territoire soient mobilisés.

 

Pour autant de nombreux projets sont bloqués car l’investissement des communes et de leur EPCI est refusé au stade du contrôle de légalité des délibérations. Les collectivités se voient opposer :

  • soit que l’EPCI n’a pas la compétence pour investir car celle-ci n’a pas été spécifiquement transférée par les communes ;
  • soit que les communes ne peuvent plus investir si l’EPCI mentionne dans ses statuts qu’il a la faculté de le faire.

 

La réponse de la DGCL est la suivante :
il s'agit d'une compétence entraînant l’application des principes d’exclusivité et spécialité, l’investissement conjoint EPCI et commune sur un même projet est donc impossible. La DGCL tempère sa position en indiquant que, s’agissant d’une compétence facultative qui peut être transférée aux EPCI, ledit transfert peut être modulé assez librement par exemple en fonction de la technologie, de la localisation des projets ou de la puissance des installations, etc.


Pour AMORCE, cette interprétation ne correspond pas à la réalité de terrain de ces projets et à leurs besoins. L’objectif initial de ces dispositions est de favoriser le développement des énergies renouvelables sur le territoire et l’implication des collectivités dans cette massification. L’interprétation restrictive de la DGCL au contraire le limite.

 

Limitation de participation au Compte Courant d’Associé (CCA)
Le CCA, dont le cadre réglementaire est prévu au Code de commerce et au Code monétaire et financier, constitue un prêt 
(Com. 18 nov. 1986, Rev. sociétés 1987. 581, note I. Urbain-Parléani). Il est assorti ou non d'un intérêt, et, il est, à ce titre, largement régi par le droit applicable aux opérations de crédit.
On note deux cas dans lesquels les CCA peuvent s’avérer particulièrement utiles :

  • ils peuvent d'abord être utilisés comme délai de paiement, pour soulager la trésorerie de l'entreprise. L'associé renonce temporairement à percevoir certaines sommes qui lui sont dues au titre de dividendes ou de la rémunération de certaines fonctions exercées au sein de la société lorsque l'entreprise doit faire face à une échéance.
  • ils peuvent également être considérés comme un instrument de financement permanent de l'entreprise, surtout pour celles dont le capital de départ est assez faible ce qui est le cas des sociétés créées pour la réalisation de projets EnR. Dans ce cas, les CCA peuvent constituer une alternative pertinente à un apport en numéraire et qui est pour cette raison très largement utilisée. Ces avances s’apparentent alors plus à un crédit à long terme, qui peut concourir à renforcer les ressources stables de l’entreprise. Ce crédit présente l'avantage d'être moins onéreux pour la société qu'un emprunt bancaire et celle-ci, en ne faisant pas appel à un financement externe, conserve une marge de manœuvre plus importante dans la conduite de ses activités. Un tel crédit peut être consenti lors de la constitution ou en cours de vie sociale, ce qui permet alors de faire l'économie du formalisme, parfois lourd, lié à une augmentation de capital, et d'épargner aux associés l'effet de dilution que provoque inévitablement une telle opération.


Il ne s’agit cependant pas d’un crédit classique. Il présente, en effet, la particularité d'être consenti par un associé, lequel n'est pas un prêteur ordinaire. En principe, il bénéficie
d’un droit au remboursement à tout moment. Le CCA ne lui octroie aucun droit supplémentaire dans la gouvernance de l’entreprise. Dans les faits pourtant, l’actionnaire-préteur veillera à ne pas mettre en péril l’entreprise dont il est actionnaire, il risquerait d’engager sa responsabilité, et un actionnaire détenteur d’une créance aura nécessairement un poids important dans la gestion des affaires de l’entreprise tant qu’il n’aura pas été remboursé.
Jusqu’à l’adoption de la loi PACTE, l’article L.312-2 du Code monétaire et financier réservait la possibilité de réaliser ces apports aux seuls associés et détenteurs d’au moins 5% du capital de l’entreprise. Cette loi supprime la condition de détention de 5% du capital imposée à ses associés. Par ailleurs, concernant les personnes susceptibles de réaliser ces apports, jusqu'à présent seuls les gérants, administrateurs, membres du directoire ou du conseil de surveillance pouvaient consentir des avances en compte courant aux sociétés dont ils étaient mandataires. La loi étend le bénéfice de cette faculté au directeur général, au directeur général délégué de la SA et au président de la SAS.
La loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat a limité la réalisation des avances en CCA dans les sociétés EnR alors que la durée des avances en CCA, leur rémunération et les conditions de remboursement étaient jusque-là régies par des conventions qui répondaient pleinement au besoin de flexibilité de ces sociétés et de sécurité pour les collectivités. La nouvelle législation bloque ainsi la participation des collectivités au financement des projets EnR en totale contradiction avec les objectifs de la politique énergétique. Désormais, les collectivités « peuvent consentir aux sociétés de production d’énergie renouvelable auxquelles elles participent directement des avances en compte courant aux prix du marché et dans les conditions prévues à l’article L. 1522-5. »
Deux conditions sont donc attachées à la réalisation de ces avances :

  • réalisation dans les conditions de marché (pour échapper à la qualification d’aide d’État)
  • réalisation dans les conditions de l’article L.1522-5 du CGCT (c’est-à-dire les conditions dans lesquelles les collectivités réalisent ces avances dans les SEM).

 

Les règles spécifiques aux CCA réalisés dans les SEM et désormais dans les SA/SAS d’EnR sont prévues à l’article L.1522-5 du CGCT :

  • Les CCA sont obligatoirement consentis dans le cadre d’une convention écrite, sous peine de nullité. Cette convention précise obligatoirement :
    • la nature, l’objet et la durée de l’apport ;
    • le montant, les conditions de remboursement, éventuellement de rémunération ou de transformation en augmentation de capital dudit apport.
       
  • Les avances sont limitées dans le temps : leur durée maximale est de 2 ans, renouvelable une fois au plus. Au terme de cette durée, les avances sont obligatoirement remboursées ou transformées en capital ;
  • Le montant cumulé des avances qu’octroie une collectivité à l’ensemble des sociétés dans lesquelles elle participe est limitée 5 % de ses recettes réelles de fonctionnement ;
  • Les avances ne peuvent être consenties à une société se portant mal, c’est-à-dire dont les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social du fait des pertes constatées ;
  • Les avances sont soumises à la décision de l’assemblée délibérante de la collectivité concernée. Celle-ci se prononce au regard :
    • d’un rapport d’un représentant de la collectivité territoriale ou du groupement au conseil d’administration ou au conseil de surveillance de la société d’économie mixte locale ;
    • d’une délibération du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de la société exposant les motifs d’un tel apport et justifiant son montant, sa durée ainsi que les conditions de son remboursement, de son éventuelle rémunération ou de sa transformation en augmentation de capital.
  • Quant à la rémunération des avances, le principe en est désormais acquis, mais la publication du décret précisant les conditions de rémunération se fait toujours attendre.


L’inscription expresse de la possibilité de réaliser des apports en CCA facilite la mise en place de ce mécanisme parfois contesté par les services préfectoraux. Pour autant, les limitations de durée (2 ans renouvelable une fois) et de montant pour les collectivités sont inappropriées pour leur permettre de participer aux besoins de financement des projets d’énergie renouvelable. Cette restriction est également facteur d’inégalité entre les investisseurs privés et les collectivités dans les retombées économiques.  Cette limitation pénalise les projets.
En effet, à l’issue de cette durée de 2 ans
(renouvelable une fois), les avances au CCA devront être remboursées, or cela est incompatible avec le temps de développement et de retour sur investissement de ces projets de production d’EnR. Ces CCA seront donc dans la majorité des cas transformés en capital, ce qui ne correspond pas à la volonté initiale des investisseurs (publics et privés).
Dans ce type de projet, les CCA sont consentis pour permettre aux sociétés EnR de disposer des fonds nécessaires à l’obtention d’un financement bancaire sur une durée généralement de 15 à 20 ans, et sont donc remboursés à l’issue du crédit sans être incorporés au capital. Cela ne sera plus possible avec cette nouvelle réglementation. De plus, la transformation des CCA en capital réduit les retombées économiques pour les collectivités. Les CCA sont rémunérateurs plus rapidement et avec plus de garantie.
La DGCL indique être ouverte à la discussion, notamment pour faire évoluer la durée des CCA (2 ans renouvelables 1 fois). Au sujet du plafond de 5 % des recettes du budget de fonctionnement, la DGCL souhaite obtenir des détails sur les projets concernés.

AMORCE reste mobilisée sur cet élément bloquant et invite toutes les collectivités à faire remonter les projets potentiellement bloqués ou modifiés par cette limitation de participation au CCA.

D’autres sujets ont été abordés avec la DGCL, comme la notion de proximité désormais traduite en “territoire limitrophe” 
qui semble trop restrictive, la possibilité pour une collectivité de faire appel à une campagne de crowdfunding de dette pour financer un projet d’EnR ou encore la possibilité des collectivités de prendre des obligations ou obligations convertibles en actions dans des projets d’EnR.
Pour participer activement à ces échanges, vous pouvez contacter par mail glebars@amorce.asso.fr et jruffy@amorce.asso.fr , et suivre les actualités de la liste de discussion “Énergie”.
 

Contacts : Gwénolé LEBARS & Joël RUFFY